Le cap Saint savance en pointe longue et fine tout en haut du nord-ouest de la mer Blanche. Pour les navires se dirigeant vers
l’océan ce cap représente la dernière étape de la rive occidentale. Grâce à ce cap les navigateurs peuvent définir le cours de l’océan vers l’antre de la mer Blanche. Durant la première guerre mondiale ce cap devint un point stratégique fort important: des navires britanniques, français et américains le longeaient avec des armements pour l’armée russe. Tout à la pointe du cap Saint se dressait un phare possédant un mât de signalisation et une sirène à vapeur pour lancer des signaux dans le brouillard ; il était relié par fil direct à Arkhangelsk.
Dès lautomne de 1915 les transports militaires sorganisèrent vers Arkhangelsk et les navires étrangers y accostèrent en nombre important.
A Arkhangelsk, lamiral commandant en chef et son état-major se débattaient dans un flot de dépêches urgentes réclamant telle ou autre livraison. Des dépêches radio non moins urgentes arrivaient de mer ainsi que des messages téléphoniques des services de liaison. Il sagissait tantôt de lexplosion dun navire sauté sur une mine ennemie auprès du phare Orloff, tantôt de dragueurs russes ou britanniques ayant découvert un champ de mines, ou de sous-marins allemands dans les fjords norvégiens. Enfin, les appels affluaient journellement pour lenvoi de caravanes de dragueurs en direction du cap Saint afin descorter des navires de chargement qui attendaient depuis plusieurs jours en rade de Iokang.
Une fois, en pleine nuit l’Etat-Major Général de la Marine lança un appel sur sa ligne directe pour sinformer sur la position dun navire britannique transportant un chargement militaire important. Lappel spécifiait que lAmirauté britannique considérait que ce navire était parvenu à Arkhangelsk. Un officier de l’Etat-Major téléphona aussitôt au cap Saint.
— Cap Saint écoute, — répondit une voix enfantine.
— Qui êtes-vous? Où est le gardien? — demanda sévèrement lofficier.
— Il est malade. Je prends le message, — reprit la même voix.
— Qui est à lappareil? — riposta lofficier exaspéré.
— Ici Maroussia Bagrentzova, la fille du gardien, — répondit-on.
— Informez-moi durgence, si tel navire est bien arrivé et donnez-nous la liste complète des navires en rade de Iokang.
Il y eut quelques minutes de silence après lesquelles la ligne téléphonique nasilla à nouveau:
— Allô, allô!…
— Ici le secteur opérationnel de l’Etat-Major. Le lieutenant N. à lappareil..
— Prenez message: navire arrivé 22 heures. Transmis au service liaison. En rade (suit énumération des navires). Le phare Orloff annonce: première section dragueurs passé phare, se dirige vers nous. Caravane se dirige Arkhangelsk demain. Message № 25367, ici cap Saint. Message téltphonique terminé, — débita toujours la même voix enfantine.
Les informations obtenues permirent de répondre à Pétrograd, au chef de l’Etat-Major Général. Dautre part, il apparut que, malgré la maladie du gardien, le service du phare cap Saint fonctionnait parfaitement.
Quelques jours plus tard un officier fut délégué dArkhangelsk au cap Saint pour examiner la situation en raison de la maladie du gardien. Lexamen conclut que la fille du gardien avait non seulement maintenu le phare en ordre parfait et transmis tous les signaux adéquats, mais quelle avait aussi sauvé plusieurs navires portant de précieux chargements en leur transmettant de son propre chef des instructions par signaux pour se rendre en rade de Iokang et y attendre la caravane de dragueurs ; sans cette escorte ces navires auraient certainement péri en pénétrant en mer Blanche.
Quelques semaines plus tard un nouveau gardien fut nommé au cap Saint et un poste de suppléant fut créé. Un service de liaison fut établi auprès du phare avec un poste de signalisation;
i1 fut décidé de monter une station radio. Sur ordonnance Impériale le gardien du phare fut mis à la retraite pour maladie avec conservation de son plein traitement. Quant à sa fille «en récompense de sa vaillance exceptionnelle, de son sangfroid et de son service consciencieux et courageux dans des conditions difficiles en pleines hostilités, la nommée Marie Bagrentzova était décorée de la médaillle de St Georges en argent»…
Ce fut la première décoration militaire décernée sur la mer Blanche. La décorée navait que
12 ans…
Transmis par N. SCRIABINE
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