Статьи из парижского журнала "Военная Быль" (1952-1974). Издавался Обще-Кадетским Объединением под редакцией А.А. Геринга
Saturday November 2nd 2024

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Ordres et decorations de la guerre civile 1917-1922 (№ 129) – P.V. PACHKOFF



IV. INSIGNES «EN COMMEMORATION DU SEJOUR DE L’ARMEE RUSSE DANS DES CAMPS MILITAIRES A LETRANGER»

1. CROIX de “GALLIPOLI”.

En Novembre 1920, après lévacuation de la Crimée par le général Wrangel, des unités de l’armée russe, ainsi que des réfugiés civils, débarquèrent de 126 navires à Constantinople. Environ 135 mille personnes, dont 70 mille combattants armés, furent embarqués dans les Dorts de Crimée.

Il sagissait maintenant deffectuer certaines modifications dans l’armée, en tenant compte de la réduction de ses effectifs, et de réorganiser les unités d’après le nombre des militaires. Dautre part, en raison de la décision du haut commandement français de ne pas installer toute l’armée à Gallipoli, il fallait en détacher les cosaques pour les transporter dans lîle de Lemnos et à Tchataldja. Ainsi, à lexception des régiments cosaques, toutes les unités de l’armée russe formèrent le 1er Corps darmée sous le commandement du général Koutiepov.

Les effectifs de ce corps comprenaient:

— La I-ère Division dinfanterie: les régiments de choc de Kornilov, dinfanterie de Markov, des tirailleurs de marche du général Drosdovsky, dinfanterie dAlexeïev, avec, auprès de chaque régiment dinfanterie, un groupe descadrons et un groupe de batteries.

— Un bataillon d’artillerie — avec des groupes de batteries lourdes et de blindés.

— Une division de cavalerie: les 1-er, 2-ème et 4-ème régiments et un groupe d’artillerie monté.

— Un régiment technique — de toutes les unités du génie, de laviation, de transmission, des blindés etc.

(Les effectifs du régiment dinfanterie Alexeïev comprenaient les unités des 6-ème, 13-ème et 34-ème divisions dinfanterie et du régiment de marche de la Garde — Ordre du jour du Généralissime №4721 du 19 Novembre 1920).

Le 22 Novembre 1920 les navires «Kherson» et «Saratov» mouillèrent lancre dans la rade de Gallipoli débarquant les premiers convois du 1-er Corps darmée. Une rapide inspection des lieux par le général Koutiepov fit aussitôt apparaître que la petite ville détruite de Gallipoli pourrait à peine abriter un tiers du corps. Quant à lespace affecté au camp, à 6-8 km. de la ville, il représentait un immense champ nu et boueux. Le commandement français distribua des tentes quil fallut transporter à dos dhommes au lieu du cantonnement.

Les épreuves morales, les maigres rations françaises et limmense effort physique à fournir provoquèrent chez les combattants une complète apathie quant à leur sort personnel et à l’organisation de leur confort, de sorte quil fallut un ordre spécial pour obUger les hommes à monter des lits dans leurs tentes. A défaut de cet ordre, la majorité des hommes se seraient laissés aller à coucher à même la terre. Avec le temps les efforts inouïs réunis pour rendre les camps habitables rendirent ces derniers méconnaissables en confort; avec la venue des beaux jours la question de logement perdit de son acuité, puisque un été sec permettait de coucher dehors.

Tout ce qui fut réalisé à Gallipoli, le train de vie du camp lui-même, tout portait lempreinte de la volonté et de lénergie du général Koutiepov. Certes, les conditions existantes ne favorisaient ni le maintien de la discipline, ni celui de l’organisation; létat moral général aurait pu conduire plutôt à une désorganisation totale, à lanéantissement des derniers restes de l’armée; cependant il fallait conserver celle-ci. Si les troupes arrivées de la Crimée, après les affres d’une évacuation sans précédent dans l’histoire, ne furent pas dissoutes parmi la population civile et confinées derrière des barbelés sous la garde de sergents français, le mérite en revient essentiellement au général Koutiepov. Ce dernier visait directement son but, à savoir la reconstitution de l’armée, sans tenir compte des murmures quauraient pu inciter ses mesures. Mais la portée principale de son œuvre ne se manifeste pes seulement dans son attachement à lidée de la renaissance de l’Armée Russe sur les côtes de Gallipoli, dans le souci du bien-être de ses soldats et dans lascendant attribué au titre dofficier. Son premier mérite fut davoir su communiquer à l’armée renaissante son immense amour pour la Patrie et sa confiance en un succès final; c’est ce mérite qui le lia étroitement à son Corps darmée.

La question cruciale du désarmement qui avait déjà surgi dans le Bosphore fut enfin tranchée en faveur du Corps. Les pourparlers qui avaient sciemment traîné en longueur déclenchèrent enfin un ordre catégorique des autorités françaises réclamant la réddition des armes, ordre qui fut suivi d’un refus non moins catégorique. Aussi le Corps conserva-t-il ses armes jusquà la fin de son séjour à Gallipoli. Ne voulant pas employer la force, le commandement français cherchait néanmoins à arriver à ses fins par des moyens indirects, notamment par lenvoi dagitateurs avec des offres dimmigration au Brésil, en Russie soviétique et dans dautres pays; enfin par des menaces allant jusquà la suppression complète des rations. Ces exigences, appuyées sur les charges que représentaient pour le budget français lentretien du Corps russe, nétaient pas valables, puisque, pour le recouvrement de ses frais, le gouvernement de la République sétait approprié tous les navires de commerce russe et dautres biens importants pour un montant de plus de 100 millions de francs.

Tout en faisant preuve de loyalisme à l’égard du commandement français, le Corps darmée russe subissait ces brimades avec fermeté et ne resserrait que plus étroitement ses propres rangs. Cette situation posait des problèmes aux autorités françaises: d’une part, elles avaient reçu l’ordre de leur gouvernement de transformer les troupes russes en une masse résignée démigrés, dautre part, elles se heurtaient à lopiniâtreté du Corps décidé à défendre son existence, contre lequel, vu son importance numérique, elles ne désiraient pas employer la force.

Aussi l’ordre du gouvernement demeura-t-il sans suite et, grâce au doigté du commandant du Corps aussi bien quà celui du commandemant français, toutes les questions épineuses se réglèrent paisiblement, bien que ce dernier profitait de toute occasion pour souligner la dépendance du Corps russe. Ainsi, tous les déplacements de Gallipoli à Constantinople et retour se heurtaient-ils à de graves difficultés; de plus les visites dans les camps du général Wrangel furent interdites.

Voici un extrait du compte rendu du représentant du Comité des Zemstvos russes auprès du Corps darmée russe à Gallipoli, adressé à ses supérieurs:

«Le grand miracle national russe sest accompli et, ce qui est surtout émouvant, ce miracle a frappé surtout les étrangers non en cause, al’ors que ses auteúrs nen ont même pas eu conscience.

Les vestiges dissociés, moralement et physiquement exténués de l’armée du général Wrangel, rejetés en plein hiver, après une retraite jusquà la mer, sur la côte déserte d’un village détruit, ont réussi en quelques mois, dans des conditions défavorables, à créer un siège solide de l’Etat russe en exil, notamment une armée disciplinée, inspirée des sentiments les plus nobles et dominée par la fraternité des officiers et de leurs soldats, une armée ayant renoncé à tout intérêt personnel et sétant apparentée à un Ordre de Chevaliers Errants, mais à léchelle russe, attirant vers lui tous ceux qui aiment vraiment la Russie”.

Le 16 Juillet 1920, au cours d’une cérémonie émouvante, le «Monument de Gallipoli» fut inauguré. Ce monument, érigé sur le projet du lieutenant Akatiev, du régiment technique, représente un tertre rappelant la coiffure «Monomaque» (coiffure de sacre des tsars de Russie), surmonté d’une croix en marbre dont le modèle servit plus tard pour «l’insigne de Gallipoli». Sur le devant du monument — les armes de la Russie — un aigle bicéphale et, en dessous, une plaque en marbre avec linscription suivante en russe, en français, en turc et en grec: «Accordez, Seigneur, le repos aux âmes des défunts. Le 1er Corps de l’armée russe à ses frères combattants qui, dans la lutte pour défendre lhonneur de la patrie ont trouvé en exil un repos éternel en 1920-1921 et en 1854-1855» (en mémoire de leurs ancêtres, les zaporojetz, armée des cosaques, morts en captivité turque). Par l’ordre du jour du Corps, chacun de ses membres, quel que soit son grade et sa situation, fut tenu dapporter une pierre pour lédification de ce monument.

Lidée de commémorer le «siège de Gallipoli» se développa au fur et à mesure que le séjour de l’armée sy prolongeait. En été 1921. sous la présidence du major-général Pechnia, commandant du régiment de Markov, une commission fut instituée chargée de lélaboration de cet insigne spécial. Il fut décidé de faire exécuter les premiers insignes à Gallipoli même avec les maigres moyens matériels et techniques dont lon disposait; il sagissait de choisir un modèle et une matière des plus simples; pour ces raisons lon sabstint de tout ruban. Le modèle d’une croix en fer noir, droite, plate, unilatérale, fut adopté, avec linscription «Gallipoli» sur lhorizontale et les dates «1920-1921» sur la verticale. Les inscriptions étaient du ton du métal, sans peinture, de même que le bord et la tranche extérieure; le milieu était peint en noir.

Le projet fut accepté par le général Wrangel et, par l’ordre du jour №369 du 15 Novembre 1921, «LInsigne en Commémoration du séjour de l’armée russe en exil dans des camps militaires, avec linscription «Gallipoli» et les dates «1920» — «1921» fut institué»; le droit de port de cet insigne fut étendu aux autres camps de séjour de l’armée russe aves les inscriptions correspondantes.

Lidée de l’insigne de Gallipoli représentait une croix en fer, mais dès le début ce matériau fut abandonné étant donné les difficultés de le travailler avec les instruments primitifs dont lon disposait et son oxydation rapide; aussi les croix furent exécutées dans un alliage léger de plomb foncé.Vers la fin de la même année lexécution à Gallipoli des insignes commença, dabord dans les ateliers du régiment technique et ensuite dans ceux de l’artillerie. Tous les objets de casse furent mis en mains comme matériau, tels des boîtes de conserves vides, ainsi que des obus allemands de 15 cm., découverts non loin des côtes. La peinture noire employée fut également improvisée. Le travail sur les insignes, effectué pendant les jours fériés, libres de service, était long et minutieux, fait entièrement à la main. La première croix «réussie» fut offerte au général Koutiepov, –

PREMIER de GALLIPOLI».

Ces croix étaient d’une présentation assez grossière, mais elles étaient en fait les seules régulières par leur dimension et leur originalité primitive (Fig. I). Elles sont actuellement presque introuvables, exécutées d’ailleurs au début en nombre fort limité, piusque peu des ayant droit pouvaient les acquérir; la croix valait une demi-lire turque, ce qui représentait la moitié de la solde mensuelle de chacun.

Lautorisation arriva enfin de Yougoslavie et de Bulgarie pour y transférer des unités de l’armée Russe. Le premier départ eut lieu le 4 Août 1921, puis le 28 et le 31 Août. Il semblait que ces transports commencés sous de bonnes augures permettraient lévacuation définitive de Gallipoli dès le début de lautomne; ils furent hélas interrompus pendant une longue période et ne reprirent que le 25 Novembre; le 14 Décembre un dernier navire arriva enfin pour conduire le dernier convoi en Bulgarie. Le général Koutiepov monta aussi sur ce navire. Seules des unités du régiment technique et du régiment décole de cavalerie demeurèrent encore à Gallipoli, destinés à se rendre en Yougoslavie; la promesse catégorique de ce pays ne fut cependant pas respectée et ces unités attendirent encore deux longues années avant d’être transférées par groupes pour travailler en Hongrie.

Par l’ordre du jour № 61 du général Wrangel, du 30 Juin 1923, les membres des détachements russes qui subirent le plus longtemps le poids d’une existence pénible à Gallipoli eurent le droit à de nouvelles dates portées sur leur insigne, notamment «Gallipoli 1920-1923».

En s’adressant à l’armée au moment de quitter Gallipoli, le général Koutiepov lui dit: «Vous avez porté votre croix pendant toute une année; portez maintenant celle-ci sur votre poitrine. Unissez tous les russes autour de cette croix, portez vaillamment le nom russe et ne permettez à personne doutrager le drapeau russe»…

Après leur installation dans les pays slaves, les «Gallipoliens» (qui continuèrent à porter l’uniforme militaire) commandèrent leurs croix dans des ateliers privés. Ces exécutions furent certainement plus élégantes, plus belles, dans des matériaux plus fins que celles des croix * primitives». En Bulgarie l’insigne, un peu plus grand que celui de Gallipoli, fut exécuté en bronze et recouvert de vernis mat noir; linscription, les dates et les bords furent dorés (Fig. 2).

En Yougoslavie les insignes furent également exécutés en bronze et recouverts démail noir; linscription et les dates furent établies en caractèrent slavons; la dimension des insignes dépassait encore celle des insignes bulgares (Fig. 3).

Enfin plus tard des insignes apparurent en France, exécutés en bronze et même en argent, recouverts démail noir, avec un étroit liseré en émail blanc autour des bords extérieurs des branches et linscription et les dates en argent. (Fig. 4). Ces croix se distinguaient par la finesse de leur travail de joaillier et étaient lœuvre de lartiste, le capitaine V.N. Bogoïavlensky qui avait atteint un haut niveau artistique dans lexécution de tous les insignes, jetons et autres objets de sa fabrication.

En Allemagne, il existait à Berlin une maison de «Fabrication des Insignes Russes», fondée en 1922, sous la marque M.E. (M.K. Evgueniev). Le catalogue de cette firme indiquait lexistence des croix «Gallipoli», «Bizerte» et «Lemnos je nai pas eu loccasion de les voir, ne doutant toutefois pas de la finesse et de la perfection de leur exécution, puisque je connais dautres spécimens de cette marque. Dans ces deux derniers pays des croix -miniatures furent également exécutées — copies exactes des croix normales.

Au cours de leur séjour à Gallipoli, les membres du Corps russe sétaient liés si étroitement entre eux que leur arrivée dans les pays balkaniques fut assombrie par lidée d’une rupture de cette liaison. Cette circonstance fit naître 1»Association des Gallipoliens» dont le but poursuivait le maintien dans lavenir de cette union qui sétait manifestée à Gallipoli.

LAssociation de Gallipoli constituée le 22 Novembre 1921 à Gallipoli, avait pour objet de parrainer l’organisation du 1-er Corps darmée et de lui succéder, au cas où les gouvernements alliés exigeraient, ce qui était très possible, la dissolution des unités essentiellement militaires se trouvant à Gallipoli et dans lîle de Lemnos. Le statut de lAssociation fut donc ratifié par le général Wrangel une première fois le 22 Novembre 1921 et ensuite une seconde fois, avec certaines modifications, le 22 Novembre 1924. C’est  ce dernier statut qui est maintenu par lAssociation actuelle. Les membres actifs de lAssociation comprennent tous les membres de l’armée russe ayant droit au port de l’insigne «Gallipoli». (Au cours de son inauguration solennelle, 1»Association de Gallipoli» fit incorporer dans ses effectifs tous ceux qui se trouvaient à ce moment à Gallipoli, y compris les femmes et les enfants qui avaient aussi vécu et souffert les dures épreuves de cette année).

La croix de Gallipoli fut instituée comme emblème de lAssociation. Les membres de cette dernière portaient habituellement à la boutonnière de leur costume civil une croix miniature du même modèle et les femmes la même croix en broche.

Dautre part, un anneau avec linscription «Gallipoli» fut aussi institué en tant que symbole de lunion des membres de lAssociation qui avaient tous le droit de porter cet anneau.

II est dit dans «La Description de lanneau et du droit à son port pour les membres de lAssociation de Gallipoli», ratifié par le général Wrangel le 18 Décembre 1921: lanneau est en fer, d’une largeur de 8 mm., avec un contour ovale et linscription «Gallipoli» avec un numéro d’ordre correspondant. La largeur de linscription et du numéro est de 3,75 mm., la longueur de linscription est de 28 mm. Lanneau se portait sur lannulaire de la main gauche et ne pouvait être acquis que par lintermédiaire du conseil dadministration de lAssociation qui avait seul le droit de sa fabrication.

démail noir, avec un liseré en émail blanc et des inscriptions et dates en argent. Elles étaient élégantes et jolies (Fig. 8).

Lenvers de toutes les croix était uni, avec une vis soudée sur écrou. La plupart des croix, sauf quelques-unes des plus primitives, ne portaient pas de numéros. Ceci concerne toutes les croix des autres camps aussi.

Contrairement à la croix «Gallipoli», la croix «Lemnos» ne portait que les dates «1920-1921», étant donné que vers la fin de 1921 tous les cosaques furent évacués de lîle. Le droit de port de cette croix était réservé à tous les militaires de l’armée russe ayant séjourné dans l’un des camps de Lemnos pendant la période de Novembre 1920 au 15 Novembre 1921.Le droit de devenir membre actif de lAssociation est réservé: 1) aux militaires possédant un certificat autorisant le port de l’insigne «Gallipoli» et «Kabakdja-Gallipoli»; 2) aux civils, femmes et enfants possédant le même certificat; 3) aux membres du 1er Corps, de la division de cavalerie et de lEscadre russe possédant un certificat autorisant le port des insignes avec les inscriptions «Lemnos«, «Bizerte», «Tchataldja» et sans les inscriptions, mais avec les dates «19201921».

2. CROIX AVEC LES INSCRIPTIONS «LEMNOS» «KABAKDJA-GALLIPOLI» ET «TCHATALDJA»

La croix avec linscription «Lemnos» «19201921», instituée par l’ordre du jour №359 signé du général Wrangel le 15 Novembre 1921. aurait dû être identique à la croix de Gallipoli; cependant elle diffère extérieurement assez ostensiblement de cette dernière.

Les premières croix furent exécutées en fer; les inscriptions «Lemnos» et les dates «19201921» nétaient pas bombées, mais découpées et recouvertes de peinture blanche; le liseré autour des branches était blanc, la croix elle-même noire (Fig. 5). Leur fabrication, très primitive et grossière, seffectuait dans les ateliers techniques du Corps des cosaques du Don, dans lîle de Lemnos.

Il semble que ces mêmes ateliers exécutaient aussi des croix plus petites, avec les mêmes inscriptions et dates, dans un alliage rappelant celui de Gallipoli, avec des lettres bombées et des chiffres recouverts de peinture noire, ces croix ayant aussi une apparence assez primitive (Fig. 6).

En Bulgarie et en Yougoslavie les croix étaient estampillées dans les mêmes ateliers privés que la croix «Gallipoli» et identiques à celle-ci en matériau, couleur et dimension, différant uniquement par linscription «Lemnos» au lieu de «Gallipoli» (Fig. 7).

En France, à Paris, des croix argentées, en bronze et en argent apparurent, recouvertes

Lors de lévacuation de la Crimée, en 1920, les cosaques furent embarqués de deux points de départ: les cosaques du Kouban — de Théodosie, les cosaques du Don et une partie de ceux du Kouban — de Kertch. A l’arrivée à Constantinople, les cosaques du Kouban furent dirigés vers lîle de Lemnos, les cosaques du Don se répartirent dans les environs de Constantinople et ne furent transférés à Lemnos que plus tard.

Lîle de Lemnos représentait dans toute l’acceptation de ce mot une prison aquatique.. Rocheuse et déserte, sans le moindre arbre, sans eau… Les conditions déjà bien sinistres de lexistence à Gallipoli devenaient ici plus épouvantables encore. En effet lexistence sous les tentes, détrempées à la moindre averse et entièrement inondées après les pluies diluviennes de la région, la densité de peuplement, le manque de couvertures et même de paillasses pour coucher, les parasites, le froid et les maigres rations distribuées, — provoquaient un moral dépl’orable.

Les cosaques du Don furent logés dans trois agglomérations différentes. La première, à 85 km. de Constantinople, était située à lune des extrémités du village turc de Tchilinguir, où, dans une propriété abandonnée, sétendait une dizaine de bergeries vides, souillées de fumier, aux toits effondrés. Ces bâtiments servirent de logement aux cosaques; un de leur bataillons fut même installé avec les brebis et les chevaux. Néanmoins ces bergeries ne suffisaient pas et de nombreux cosaques durent sinstaller à la belle étoile et creuser des tranchées souterraines pour sy abriter. Le surpeuplement, le manque de nourriture et les lamentables conditions hygiéniques favorisèrent les épidémies: dès le 8 Décembre des cas de choléra se déclarèrent et ce ne fut que grâce à des mesures énergiques et à une sévère quarantaine que le mal fut enrayé. Dautre part, les mesures militaires prises pour le relèvement de la discipline et du moral produisirent leur effet  les cosaques représentèrent bientôt des unités avec un ordre rétabli.

Le second groupe des cosaques du Don fut réparti dans le village de Sandjak-Tépé, à lVskm. de la gare de Khadem Key, et logé dans des baraquements en bois ou dans des tranchées souterraines. Tout en étant bien loin de la normale, les conditions de leur installation étaient bien plus favorables que celles de Tchilinguir, ce qui se ressentit aussitôt sur l’organisation de lexistence et sur le moral dans l’armée, le respect du devoir militaire et un attachement inébranlable au généralissime. Lexistence à Sandjak-Tépé rappelait quelque peu celle à Gallipoli: un théâtre, une bibliothèque, des cours et des exposés furent organisés, ainsi que des ateliers denseignement de travaux manuels.

La tentative des autorités françaises de transférer ces unités à Lemnos provoqua un sanglant conflit qui obligea le commandement français de s’adresser au général Wrangel pour le prier de donner des ordres en ce sens. Ce dernier exigea que le ravitaillement à Lemnos soit garanti; ce n’est quaprès avoir reçu cette assurance des français que le général Wrangel donna l’ordre aux cosaques de se rendre à Lemnos, ordre qui fut immédiatement exécuté; le 3 Janvier le camp fut évacué et les unités transférées à Lemnos.

Enfin le troisième groupe des cosaques du Don fut installé près de Kabakdja, belle région boisée à 10 km. de la ville de Tchatadji, à moitié détruite. Au début, des évasions eurent lieu par suite du manque total de ravitaillement, mais, aussitôt cette question réglée, avec l’arrivé du printemps et de quelques possibilités de travail privés, les cosaques purent peu à peu séquiper, se procurer des bottes, des casquettes, des pantalons à bandes; ils installèrent une église, une bibliothèque, un théâtre, avec deux troupes, lune russe, l’autre ukrainienne. Ces réalisations agrémentèrent leur existence et relevèrent leur moral. Ce groupe demeura à Kabakdja jusquà la fin de lautomne et fut ensuite transféré à Gallipoli. Tous ses membres furent donc autorisés à porter une croix avec la double inscription «KabakdjaGallipoli» et les dates «1920-1922».

Cette croix fut dabord exécutée à Gallipoli, dans le même alliage que celle de Gallipoli», mais d’un travail plus raffiné. (Fig. 11).

Plus tard en France, une petite quantité de croix exactes au modèle ci-dessus furent fabriquées à Paris, en bronze doré, recouvertes démail noir (Fig. 12).

Il existait également une croix avec linscription «Tchataldja» et les dates, exécutées dans le même alliage primitif (malheureusement je ne possède pas cette croix dans ma collection et ne puis donc la décrire d’une manière plus détaillée).

Au début de 1921 le Premier Ministre du Gouvernement Français annonça la cessation à partir du 1er Février 1921 de tout secours financier et matériel à l’armée russe. Après diverses mesures prises par le Haut Commandement, le Commandant du Corps dOccupation Française, le général Charpy, déclara officiellement que «le Gouvernement Français nentendait pas abandonner à leur sort les réfugiés russes». Cependant, dès la mi-Mars, le Haut Commissaire Français, le général Pellet, informa le général Wrangel que, conformément aux ordres reçus de Paris; le ravitaillement de l’armée serait supprimé dès le 1er Avril prochain. En conséquence, les membres des unités étaient invités à prendre lune des trois décisions suivantes: 1) rentrer en Russie soviétique, 2) émigrer au Brésil, 3) rechercher des emplois. Le général Wrangel répondit quli ne pouvait conseiller à ses hommes de se rendre en Russie soviétique où les attendaient une mort certaine, ni au Brésil — vers une incertitude totale.

Al’ors commença cette page douloureuse des rapports franco-russes, l’orsque, pour des raisons sordides de suppression des rations, des agents du gouvernement français entreprirent une propagande contre le commandement russe essayant, par la persuasion et les menaces, de mettre en exécution les ordres reçus. Les russes se trouvaient devant la sommation catégorique: soit de mourir de faim, soit de se livrer aux bolcheviques, soit de se rendre au Brésil. Cette attitude des autorités françaises émut profondément les russes. Au dernier moment un nouveau conflit imprévu éclata qui concernait le plan de l’évacuation.

Le général Wrangel considérait quil fallait en premier lieu évacuer lîle de Lemnos, al’ors que les français exigeaient dabord la liquidation de Gallipoli . Cette exigence recelait évidemment une origine politique et stratégique: dès le départ du 1-er Corps de la presquîle, létat-major du général Wrangel perdrait aussitôt le puissant appui des unités qui lui étaient infiniment dévouées et demeurerait livré à lui-même.

Le général Pellet écrivait au généralissime russe: «Tous les russes installés dans les camps doivent se convaincre que l’armée du général Wrangel nexiste plus et que par conséquent ses anciens chefs nont plus le droit de donner quelque ordre quil soit… Je déduis de vos déclarations que les contingents seront transportés en Serbie ave leurs tentes, leurs cuisines roulantes, leur matériel hospitalier et autre. Je me permets de vous rappeler que le gouvernement Serbe à toujours exprimé son intention doffrir asile aux émigrés, mais non pas à une armée… La portée de cette distinction ne peut vous échapper. C’est  pourqoi je considérais inadmissible que le matériel emporté par les émigrés ait le caractère d’un chargement militaire»…

Le général Wrangel répondit par une lettre en date du 16 Mai 1921: «Le vœu du Gouvernement Français pour que «l’armée du général Wrangel cesse son existence» et pour que «les russes dans les camps» ne tiennent plus compte des ordres de leurs chefs, vœu que vous devez certainement partager, mon Général, ne peut en aucun cas être imposé aux «russes dans les camps»; aussi longtemps que ces camps existeront, il paraît peu probable que les officiers et les soldats russes, pour complaire au Gouvernement Français, manquent à leur devoir en trahissant leurs drapeaux et leurs chefs.

En ce qui concerne mon choix de décisions indépendantes, auxquelles vous déclarez vouloir vous opposer, je me trouve contraint à mon grand regret de me réserver ce droit. En conclusion, je me permettrai de mattarder sur la question du ravitaillement des hommes transportés en Serbie. Tout en partageant entièrement vos considérations pour éviter toute allusion évoquant un caractère militaire dans le matériel accompagnant les convois, je suppose néanmoins que des abris et du ravitaillement sont indispensables au même titre à un soldat comme à un ouvrier >-…

Le ton tranchant de la correspondance et de nombreuses démarches diplomatiques contraignirent les Français à céder une fois de plus. L’armée fut embarquée d’après le plan établi et transférée dans les pays balkaniques.

3. CROIX AVEC LINSCRIPTION  BIZERTF,».

Le destin de la flotte russe, qui avait quitté la Crimée avec l’armée du général Wrangel, fut fixé en Décembre 1920.

Pour rembourser à la Fiance les frais quelle avait supportés 50.000 tonnes de navires de commerce lui furent cédés, al’ors que les navires militaires battant pavillon de St. André se rendirent à Bizerte. Dès leur arrivée les navires furent soumis à une sévère quarantaine, avec défense de toute communication entre eux. Cette quarantaine fut enfin levée — les hommes nétaient pas descendus à terre depuis deux mois et, si l’armée avait eu besoin de beaucoup de courage, la flotte se trouvait dans des conditions plus difficiles encore pour conserver son unité et son esprit déquipe. Les familles et les hommes susceptibles de trouver un emploi furent débarqués dans les environs de Bizerte. Le Corps des cadets de la marine, privé de tout matériel pédagogique, fut installé dans le fort de Djebel-Kébir; cet établissement, de même que les écoles militaires à Gallipoli, maintenait chez ces jeunes gens la confiance, la discipline, le courage et le sentiment du devoir.

Il serait difficile dénumérer les privations, le travail et la lutte que durent subir et mener ces modestes héros; ce fut sous dautres aspects, sous dautres formes le tableau de Gallipoli, de Lemnos… La même tension permanente, la même souffrance, la même lutte pour le respect du drapeau, de lhonneur et de la bonne renommée russes. Lambiance était grise, morne, le monde nétant pas enclin à reconnaître ni exploits, ni héroïsme. Le drapeau de St. André ne flottait plus dans les ports européens. Comme partout, la noble conduite des marins russes provoquaient létonnement et ladmiration des autorités françaises; de même que partout ces autorités exigeaient néanmoins, sous la pression de leur gouvernement, des concessions pénibles; de même que partout, le jour arriva enfin quand la flotte russe termina son existence. Le 30.10.1925 à 17h.24. le pavillon de St. André, qui avait flotté pendant plus de 200 ans sur les navires de la Marine Impériale Russe, fut baissé pour la dernière fois. Les camps autour de Bizerte furent tous liquidés… La France avait reconnu les Soviets…

Les croix «Bizerte 1920-1921» auxquelles avaient droit tous ceux qui se trouvaient sur les navires et dans les camps autour de Bizerte, étaient primitivement ressemblantes à celles de Gallipoli et de Lemnos et fabriquées sur place dans les ateliers du navire de transport «Cronstadt» et du Corps des cadets de la marine.

La croix est en fer recouverte de peinture noire, avec un liseré blanc autour des bords des branches. Les inscriptions et les dates sont découpées en profondeur, les chiffres recouverts de peinture blanche. On ny trouve pas de lettres bombées comme sur la croix «Gallipoli» (Fig. 9), quoique certainement, grâce à des ateliers parfaitement équipés, Bizerte était placée dans des conditions beaucoup plus avantageuses pour la fabrication des croix que tous les autres camps qui effectuaient habituellement le travail avec des moyens et des instruments très primitifs.

Après la liquidation des camps de Bizerte les marins se dispersèrent partiellement en Afrique ou se fixèrent en France et aux Etats-Unis.

Des croix argentés en bronze de «Bizerte» apparurent en vente en France. Elles étaient de dimensions normale et miniature — œuvres de V.N. Bogoïavlensky, souvent en argent, recouvertes démail noir avec un liseré en émail blanc et les inscriptions et les dates en argent (Fig. 10).

Dans les pays balkaniques lon ne fabriquait pas de croix «Bizerte»; leur fabrication existait en Allemagne effectuée par la firme M.E. (M.K. Evgueniev). Nayant pas eu loccasion de voir ces croix je ne puis en donner plus de détails.

4. CROIX AVEC LES DATES «1920-1921», SANS INSCRIPTION

Pour les membres de l’armée russe qui n’avaient pas vécu dans l’un des camps militaires, mais qui sétaient fixés soit à Constantinople (les membres de létat-major et de la suite du général

Wrangel, les attachés militaires et navals auprès des Ambassades russes, les commandants des camps des réfugiés), soit dans dautres localités à létranger, une croix fut instituée par le même ordre du jour № 369 du 15 Novembre 1921, signé du généralissime. Cette croix, dont la forme et la dimension étaient semblables aux croix décrites ci-dessus, ne portaient pas de nom du camp, mais seulement les dates commémoratives «1920-1921» placées sur les branches horizontales et non verticales de la croix.

Il existait deux variétés de cette croix: la première, dans un alliage de couleur naturelle ou recouverte de peinture noire, avec des chiffres bombés; cette croix rapelle par son exécution assez grossière la croix primitive de Gallipoli et fut d’ailleurs fabriquée dans les mêmes ateliers. La deuxième, en cuivre jaune, recouverte démail noir avec des chiffres dorés et un large liseré doré autour des bords des branches, était assez élégante et jolie, d’une dimension légèrement inférieure et exécutée dans un atelier privé de Constantinople (Fig. 15).

Il nexiste que fort peu de croix avec les dates < 1920-1921», ce qui sexplique, puisquen dehors des camps, l’armée ne comptait quun nombre limité dhommes en service.

Plus tard, à Paris, le capitaine Bogoïavlensky, maître orfèvre, lança sur le marché des croix de sa fabrication portant ces mêmes dates. Ces croix, d’une belle exécution, se faisaient en dimensions normale et miniature; elles étaient recouvertes démail et fabriquées parfois en argent. Malheureusement, les dates y avaient été portées incorrectement, notamment à la verticale et non à lhorizontale (Fig. 16). Cette circonstance, vu le nombre important mis en vente de ces croix fantaisistes, peut évidemment troubler le futur collectionneur dans sa définition de la conformité de ces deux croix. Nous rappelons que seules les croix en alliage et celles de Constantinople en cuivre, avec les dates horizontales sont conformes au modèle. Les croix «parisiennes» sont argentées, recouvertes démail noir, avec un liseré en émail blanc.

5. CROIX AVEC LINSCRIPTION «LUCULLUS»)

L’ordre du jour № 369 prévoyait également la délivrance de la croix portant les dates «19201921» à léquipage du yacht du généralissime «Lucullus» qui fut coulé intentionnellement le 15 Octobre 1921 en rade du Bosphore. Ce yacht fut éperonné par le navire italien «Adria» arrivant de Batoum. Le commandant du yacht, le lieutenant de vaisseau B.N. Stepanov, considéra cette inscription comme insuffisante et adressa une demande au Haut Commandement pour ajouter à la croix destinée aux membres de léquipage linscriptfcn Lucullus», ce qui fut autorisé par ordre du général Wrangel le 3 Janvier 1922.

L’attribution de ces croix survint bien après la perte du «Luccullus», l’orsquune partie de son équipage fut envoyée à Prague pour y continuer des études et le restant, avec son commandant, fut transporté à Varna, en Bulgarie. C’est à Varna quarrivèrent aussi des unités venant de Gallipoli parmi lesquelles figurait le régiment technique. C’est  dans latelier de ce régiment que fut exécutée, pour le commandant du «Lucullus», lunique croix avec linscription et les dates prévues.

Cette croix représente le modèle primitif de Gallipoli, elle est de la même dimension, du même alliage, recouverte de peinture noire, avec des lettres bombées, des chiffres et un liseré, linscription «Lucullus» et les dates «1920» et «1921» (Fig. 13). Daprès des informations dignes de foi, il est certain quà lexception de lexemplaire unique cité plus haut, ces croix ne furent jamais plus fabriquées.

Le droit au port de la croix «Lucullus» fut attribué aux 6 officiers et aux 33 hommes de léquipage du yacht, aux 18 membres de la suite du généralissime et à leurs familles, soit au total, sans ces dernières, à 57 hommes. Ils reçurent tous des attestations en conséquence, mais les croix ne leur furent jamais remises.

Grâce à lextrême amabilité du lieutenant de vaisseau B.N. Stepanov, jai pu obtenir de lui non seulement toute la documentation concernant cette décoration, mais aussi lunique exemplaire existant de la croix qui fait maintenant partie de ma collection. Jai pu faire exécuter d’après ce modèle 10 copies exactes (Fig. 14), dont deux furent remises au lieutenant de vaisseau B.N. Stepanov et au commandant en second du yacht V.M. Kostenko; les 8 autres croix furent dispersées parmi les collectionneurs. 6. CROIX SANS INSCRIPTION ET SANS DATE

Sur la requête du président de lAssociation de Gallipoli, «lUnion Générale des Associations des Anciens Combattants Russes en France» institua pas son ordre du jour № 24 du 28 Avril 1938 un insigne similaire à celui institué en commémoration du séjour à Gallipoli, notamment une croix noire, sans inscription et sans date. Cette croix était destinée aux membres de 1»Association de Gallipoli» qui n’avaient ni séjourné dans aucun des camps, ni participé dans le Sud de la Russie au mouvement des volontaires russes, mais qui avaient lutté contre les bolchevistes sur les autres fronts de la Guerre Civile de 1917-1922. Cette croix ne fut jamais fabriquée.

En conclusion, il faut ajouter que les croix-miniatures, destinées à être portées à la boutonnière du costume civil, de même que les croix en broche, nexistaient quavec les inscriptions suivantes: «Gallipoli», «Lemnos» et «Bizerte».

P.V. PACHKOFF


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