A l’époque précédant le régne de Pierre Le Grand, les hommes de guerre recevaient des insignes de distinction particuliers dénommés «Zolotoy», mot qui désignait aussi la pièce dor.
Au début, cétaient des pièces dor de provenance étrangère qui se trouvaient, par hasard, dans les caisses des Princes. Elles furent ensuite remplacées par des pièces dor frappées à Moscou et qui étaient, sans aucun doute, des insignes de distinction, puisquà l’époque la Russie ne possédait pas de monnaie dor. Dailleurs ces pièces ne portent que leffigie des armoiries de l’Etat, le nom et le titre du Prince.
C’est ainsi que nous trouvons dans les collections de lErmitage le zolotoy dIvan Le Terrible qui porte sur ses deux faces les aigles impériales ainsi quune inscription qui commence sur lune des faces et se termine sur l’autre: «Par la grâce de Dieu seigneur et grand Prince Ivan Vassilievich de toutes les Russies, Prince de Vladimir, de Moscou, de Novgorod, de Pskov, de Tver, de Polotsk, Tsar de Kazan et Tsar dAstrakan».
Ce genre de pièce fut aussi frappé dans les règnes suivants avec, bien entendu, le nom et le titre du souverain régnant.
Ces Zolotoys servaient de décoration pour tous services militaires rendus, les campagnes, les victoires, les sièges, la résistance en captivité et pour conduite militaire exemplaire.
On accordait ces décorations dans un ordre strictement hiérarchique, le Zolotoy était dautant plus grand que le grade était élevé, la classe la plus élevée était un gros zolotoy sur chaîne dor, le zolotoy de la classe moyenne était remis sans chaîne et celui de la classe la moins élevée consistait en un zolotoy de format plus petit ou, si ceuxci manquaient, on remettait des kopeks dorés.
La chancellerie qui veillait à la remise de ces décorations sappelait «le Razriad», lon y tenait les livres et lon y établissait les documents et les listes qui permettaient de sélectionner au Palais de la monnaie les pièces dor.
C’est aussi là que se composaient les discours prononcés à loccasion de la remise de ces décorations.
L’attribution d’un tel insigne de distinction ne se faisait quaprès observation stricte des formes traditionnelles.
Tout commençait par l’arrivée d’un seountch (1) messager, envoyé par lofficier supérieur du promu, porteur d’un document, dont voici un exemple:
«Bientôt les vivres et le plomb vinrent à manquer, suite à de nombreuses attaques menées contre la ville; le dénommé Stephan organisa des sorties, menant tous les hommes d’armes et les habitants au combat contre les Lithuaniens et les Polonais, ils se battirent au corps à corps, à coup dépieux et de pierres des murs de la ville et à coup de lances et de couteaux, dans le fossé qui les entourait» (2).
Un tel rapport était suivi par une décision concernant la remise de la décoration et lon composait au sein du Razriad le document nécessaire, on sélectionnait la pièce dor et lon préparait le discours qui serait prononcé l’ors de la cérémonie.
C’est le Tsar lui-même qui choisissait le noble boyard, selon son grade et sa lignée, qui devait, en compagnie du clerc officiel du Razriad remettre l’insigne dhonneur.
A son arrivée à la place d’armes lenvoyé du Tsar commençait par transmettre les salutations du Prince au chef et à ses lieutenants, puis prononçait le discours tout préparé et remettait les pièces dor.
Ensuite les officiers subalternes étaient rassemblés et la même cérémonie se répétait pour ceux dentre eux qui étaient décorés.
Finalement la cérémonie se répétait une troisième fois pour la remise des kopeks dorés aux hommes de troupe qui sétaient distingués.
Nous voudrions citer pour exemple un de ces discours de remise de décorations: «En cette année 125, le 18ème jour du mois de mai, mon seigneur Michel Fedorovitch, grand prince et tsar de toutes les Russies recevait une lettre du noble boyarín et prince Yuriy, fils dEkchey Soulechov, et de ses lieutenants, une lettre envoyée par le messager du prince Pierre Boriatinskiy. Ce 14 mai arriva devant la ville de Dorogobouj, le colonel Chaplinski avec un grand nombre de guerriers polonais, lithuaniens et tcherkess et vous avez combattu ces polonais, ces lithuaniens et ces tcherkess devant la ville de Dorogobouj, et vous les avez battu à plate couture, fait de nombreux prisonniers, pris des étendards et des timbales.
De ces prisonniers, 240 hommes furent envoyés à pied par différentes routes sur Dorogobouj par un chemin de 20 verstes passant derrière le fleuve Ourjout, et ceci fut accompli grâce à la bonté du Seigneur et à laide de la Sainte Vierge ainsi quà lintercession de tous les saints et par les prières de notre Père et grand Seigneur, sa sainteté le Métropolite Philarète Nikititch et les prières de la mère de notre grande Souveraine la religieuse Marthe et par la grâce de notre Tsar et de notre noble boyarin et chef militaire le Prince Yuriy, fils dEkchey Soulechov, qui, avec ses compagnons d’armes, nous a si bien servi.
Pour récompenser vos services le Tsar nous a envoyé pour vous dire ces mots honorables et vous décorer de pièces dor. Souhaitant que vous continuiez à nous servir de la même façon et avec laide de Dieu à combattre les polonais, et les lithuaniens et pour vos faits d’armes nous vous accordons notre confiance et gratifications» (3).
Il est bien évident quil existait parfois des erreurs, certains noms pouvaient manquer dans les listes et par contre dautres mentionnés ne correspondaient pas à des personnes vivantes: «la noblesse et les enfants de la noblesse ainsi que les chefs cosaques et leurs hommes disaient parfois quils avaient bien participé avec eux au siège, mais quaprès cette action ils sétaient enfuis ou avaient quitté l’armée pour se rendre dans leurs terres près de Moscou, que dautres fils de la noblesse, hommes d’armes, cosaques et streltzis avaient été tués ou étaient morts» (4).
Il arrivait aussi que le décoré considère quil méritait un zolotoy plus important correspondant à son grade supérieur, certains ont même refusé de prendre les zolotoys quon leur remettait.
Ce genre derreur était souvent résolu sur place et c’est ainsi quun Ataman vit son zolotoy échangé contre deux plus petits.
Les zolotoys non remis étaient retournés au bureau central du «Razriad» et enregistrés dans un livre spécial de façon à ce que la personne à laquelle cette décoration était attribuée et qui était absente le jour de sa remise puisse se présenter au «Razriad», justifier de son absence et recevoir l’insigne dhonneur.
Reste à savoir ce que faisaient les décorés avec leurs pièces d’or?
Ceux qui recevaient le zolotoy sur chaîne le portaient certainement, quant aux autres, voici ce que nous avons pu trouver dans ces quelques lignes écrites par Fletscher: «A ceux qui sétaient distingués par leur courage ou par des services particuliers rendus, le Tsar envoyait un zolotoy portant leffigie de St Georges en cavalier. Ces insignes se portaient sur les manches ou sur le couvre-chef et cela était considéré comme le plus grand honneur que lon puisse recevoir pour les plus grands services» (5).
Cette remarque d’un étranger vraiment objectif doit être considérée comme correcte et fort intéressante, dautant plus que sa description d’un insigne dhonneur est absolument exacte.
En effet, Fletscher parle d’un kopek en or qui représentait le Tsar à cheval portant une lance dans sa main, cette effigie pouvait être facilement prise pour celle de St. Georges.
Nous voyons donc que dans la Russie davant Pierre le Grand il existait réellement une sorte dinstitut de chancellerie d’insignes dhonneur et d’ordres militaires.
Cet organisme exista d’ailleurs à l’époque de Pierre, mais les pièces furent graduellement remplacées par les médaillles similaires à celles existant déjà en Europe occidentale.
Eugène MOLLO.
- 1) Seountch: rapport concernant une victoire — le même mot désignait le porteur de ce message.
- 2) La première remise de décorations que nous ayonc relevée remonte à 1469.
- 3) «La geste du siège de la ville de Michilov» — «antiquité kievienne». Décembre 1885, page 684-689.
- 4) Bulletin de lassociation historique et antiquaire de Moscou livre 3 page 23.
- 5) Jayls FLETSHER «de létat russe St Pétersbourg 1906 page 70».
zolotoy: pièce dor.
boyard: titre de noblesse dans la Russie médiévale.
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